ROLAND SABATIER lettrisme

 
 

SOCIETE PARADISIAQUE

SALLE DES PAS (QUI SEMBLENT) PERDUS (1976)


Société paradisiaque : salle des pas (qui semblent) perdus, 1976. Installation à la Galerie de Paris en 1988.

Acrylique sur deux moquettes découpées et sur toiles, imprimés offset encadrés et lecteur de cassette audio. (Collection Éric Fabre, Bruxelles). ARC 76-36.


Le matériel de cette œuvre infinitésimale et supertemporelle est composé de deux morceaux de moquette, directement posés sur le sol, au centre de la salle dans laquelle doit se dérouler la manifestation.

Ces éléments visibles seront complétés par les mots « externe » et « interne », inscrits sur chacun d'eux en caractères d'imprimerie, représentant les thèmes, également infinitésimaux, autour desquels cette œuvre s'organise.

Le présent texte, affiché dans la rue ou à proximité de l'entrée de l'exposition, préviendra les arrivants de la nécessité de dépasser les significations objectives, habituelles, des composants offerts, pour leur attribuer d'autres significations, possibles ou impossibles, en rapport avec les concepts généraux de sol, de chemin ou de trajectoire.

Cette présentation sera en outre prolongée sur un plan immédiatement sonore par la diffusion d'un voix enregistrée qui comptera inlassablement : 1-2..., 1-2…,1-2…, etc., et cela, sans discontinuer, jusqu'à la fin de la réunion.

Le rythme à deux temps de cet enregistrement a pour but de symboliser la cadence répétitive d'une marche interminable que les spectateurs seront invités à entreprendre, réellement ou d'une manière imaginaire, sur ou en dehors du lieu de la réalisation, en s'interrogeant ensemble, dans le cadre d'un débat, ou séparément , dans une quête personnelle, sur les moyens, concevables ou non, qu'il leur semblera nécessaire d'employer ou d'inventer pour conduire l'humanité entière dans la société paradisiaque.

Pour ponctuer cette réflexion et lui attribuer un prolongement supertemporel, les manifestants seront invités à parsemer leur parcours par des éléments, concrets ou virtuels, qui leur paraîtront le mieux concourir à la construction des étapes de cette ascension vers le but idéal. Mais ils devront savoir que leurs propositions pourront sans cesse être remises en question, complétées, remplacées ou anéanties par des suggestions nouvelles apportées par d'autres amateurs et convenant mieux à hisser ces derniers, plus en avant, dans la direction du but désiré. Ici, comme dans la vie, les idées les plus justes l'emporteront sur les affirmations réactionnaires ou inadéquates.

Pour donner aux premiers arrivants l'impression de rentrer dans un univers dont la construction est déjà en marche, et dans le but de nourrir les interventions des premiers spectateurs, je suggère, a titre d'exemple, que les organisateurs répartissent, sur chacun des mur du local utilisé, les noms, traduits en écriture hypergraphique, des domaines de la connaissance.

Les détails de l'exécution de cette œuvre infinitésimale et supertemporelle doivent, me semble-t-il, être totalement abandonnés à l'initiative des participants. La progression pourra être coordonnée à l'avance ou improvisée selon une trajectoire commune, linéaire, circulaire ou autre, identique pour tous les amateurs, comme, au contraire, elle pourra être effectuée d'une manière désordonnée, individuelle, chacun allant en tous sens, créant et recréant à son rythme un cheminement personnel au cours duquel, au hasard des rencontres, d'autres interprètes deviendront les compagnons de route d'un moment, ou les ennemis qu'il faudra combattre pour assurer la continuité de sa propre marche.

Les bruits des pas de cette marche symbolique sembleront se perdre dans le fracas du monde actuel; ils seront jugés vains et inutiles par ceux pour qui l'art n'est rien; ils apparaîtront réactionnaires, et par conséquent tout aussi inutiles, à ceux qui méconnaissent l'esthapéïrisme et ses lois spécifiques. Que ceux-là sachent que pour d'autres, ces pas représentent une nouvelle victoire, qui, dans un secteur formel déterminé, et au delà, par le thème qu'ils véhiculent, accompagnent la progression irrésistibles de la création que personne ne pourra arrêter.

Qu'ils fassent attention à ne pas être écrasés par eux ou rendus sourds par leur martellement qui ne finira jamais de se faire entendre.

(Paris, le 8 janvier 1976)


Exposition :

Cette œuvre a été proposée au public, pour la première fois, le 30 avril 1976 dans le cadre du 1er Salon annuel de la Lettre et du Signe, à Paris, sur le parvis du Musée d'Art Moderne.

Présente dans l’exposition Chefs d’œuvres passés, présents et futurs de l’art imaginaire, Galerie de Paris, en avril 1988.


Bibliographie :

Le texte en a été publié, en juin 1976, dans le numéro 2 de la revue La Novation.

Repris dans Roland Sabatier, A L’ombre de, sous l’ombre, sous ombre de (Œuvres esthapéïristes et sup), éd. Psi, 1978, et, avec l’œuvre reproduite, dans le catalogue de l’exposition Chefs d’œuvres passés, présents et futurs de l’art imaginaire, éd. Galerie de Paris, 1988



 

Société paradisiaque : salle des pas (qui semblent) perdus, 1976. Installation à la Galerie de Paris en 1988.

Acrylique sur deux moquettes découpées et sur toiles, imprimés offset encadrés et lecteur de cassette audio. (Collection Éric Fabre, Bruxelles). ARC 76-36.

Sur le mur en face: Roland Sabatier, Quatre films infinitésimaux (Écoulement, Adieu Méliès, Entrac’te, Movies), 1969.