ROLAND SABATIER lettrisme

 
 

ROLAND SABATIER

MISE EN PLACE DE RIRES JUSTES SUR UNE SOCIETE INJUSTE

(1985)


Film infinitésimal.

Production Psi, 1985 . 28 minutes (Extrait: 5’38)

Réalisé pour la première fois en public dans “Télégraffiterons", galerie J.J. Donguy en 1986.

Version DVD video, Productions psi, 2007 (28 m)

"Pratiquement: l’expression esthapéïriste ou infinitésimale est composée de particules imaginaires obtenues à l'aide de moyens indifférents en eux-mêmes dépourvus de leur sens immédiat et acceptés autant qu'ils permettent d'imaginer d'autres éléments inexistants ou possibles. En se posant, par le biais de la notation-tremplin, le problème de la perception au-delà du concret, l'esthétique nouvelle devait se préoccuper, sur le plan artistique, de la mutation des sens, qui établit la substitution d'un organe à un autre, de la télesthésie, ou de la sensation à distance, et, tout particulièrement, de la création de sens inédits, inconnus à ce jour.

Ce sont donc des surfaces blanches, des injonctions brèves, des espaces dissimulés, ou, à la limite, n'importe quoi ou rien, qui sont les traits communs des oeuvres qui se réclament de cette esthétique.

Les données accessibles par lesquelles on les saisit en caractérisent, à la fois, le fonctionnement et la notation. Cette part visible n'étant proposée que pour susciter chez l'amateur des élaborations mentales incarnant les potentialités innombrables, toujours fuyantes et sans cesse changées, de beautés intériorisées. Car, si c'est bien à partir de formes objectives, déterminées, qui, en premier lieu, les suggèrent, que ces oeuvres se présentent, c'est surtout au-delà d'elles, très exactement dans l'originalité pure, qu'elles se réalisent.

Dans leur fonctionnement, ces symboles vides comblent l'écart entre ce qui peut se voir — ou s'entendre — et ce que l'on ne peut pas voir — ou entendre. L’œuvre sera la résultante d’un rapport d'inadéquation entre un signifiant et un signifié au préjudice de la relation de complémentarité conventionnelle.

La manipulation réduit à un signifiant flottant le pouvoir d'un au-delà de la réalité qui est une réalité impossible, qui n’existera jamais, qui ne pourra même pas être imaginée — et, dans ce sens, inimaginable, plutôt qu’imaginaire.

Le donné-à-voir (à considérer aussi comme : à-entendre, à-toucher, à-goûter, à-sentir, etc.) se pose comme pur signe notatif d'un voir-entendre-toucher-goûter-sentir authentiquement transcendant reconduit sur le plan de l'inconcevable et de l’inaccomplissable comme les inédites valeurs élémentiques, rythmiques, mécaniques ou thématiques du beau et de l’émouvant du nouvel art.

C'est par là que la beauté est appelée, une beauté à l'état pur, susceptible de se charger de n'importe quel contenu symbolique, une beauté qui n'existe que dans un avenir aux limites sans fin, posées comme sans cesse repoussées. L'art infinitésimal est le pouvoir de cette beauté transcendée réduite à la forme visible d'un rien (ou d'un tout). Elle est le pouvoir et la force de l'illusion.

Son expression dérive du glissement du signifié habituel vers un signifié complètement idéal, irréel, in-existant et inimaginable. En cette occurrence, elle s'affirme comme la forme la plus perverse et la plus discrépante du réel. On met un nom là où il n'y en a pas, là où aucune réalité n'existe et sur laquelle nous ne pouvons pas mettre de nom. Ce tour de passe-passe fait que l'auteur et l'amateur accèdent à l'ineffable dans un langage commun suggéré par le premier et accepté par le second.

C'est donc l'établissement d'une communication sensorielle différée, transposée ou substituée, essentiellement et perpétuellement projetée dans la dimension irréelle, que l’esthétique infinitésimale propose d'explorer dans l'ensemble de ses agencements, positifs et négatifs.

C'est sur la base de ces explications que, au-delà de la simple contrepèterie - mais à partir d'elle - s'appréhendent les beautés filmiques de Mise en place de rires justes sur une société injuste." (R.S.)