ROLAND SABATIER lettrisme

 
 

BIENNALE DE VENISE 1993


Schéma de l’évolution créatrice des éléments de la communication visuelle envisagée dans l’écriture utilitaire, puis dans les arts plastiques et prosodiques, à travers leurs mécaniques et outillages respectifs.


Vues partielles de l’installation conçue en 1993 par Roland sabatier pour la participation du groupe lettriste à la XLV Biennale de Venise.

Réalisé sur place au début de juin 1993;

dimensions: 42 x 6 mètres;

acryliques, collages, matériaux divers et introduction de vitrines verticales


COMMUNIQUE DE PRESSE:

"LE GROUPE LETTRISTE A LA XLVe BIENNALE DE VENISE

Le groupe lettriste, créé en 1945, à Paris, par Isidore Isou, a été invité par le commissaire Achile Bonito Oliva à participer à la XLVe Biennale de Venise, dans le cadre de l’exposition « Passage à l’Orient ».

Le dispositif, conçu par Roland Sabatier, le responsable de cette manifestation, a pris place au Pavillon Venezia. Il met en scène les différents apports de ce groupe d’avant-garde dans les arts plastiques à l’intérieur d’une immense fresque murale qui, sous la forme d’un immense schéma, traduit l’évolution créatrice des arts visuels, depuis les origines de l’humanité jusqu’à aujourd’hui.

Toutes les périodes de cette évolution séculaire : l’écriture puis la peinture et le roman, auxquels s’ajoutent désormais les découvertes spécifiques du Lettrisme, l’hypergraphie, l’art imaginaire, l’art supertemporel, la méca-esthétique, etc., situées à leur place chronologique, sont illustrées par des œuvres caractéristiques que viennent éclairer, préciser, un nombre considérable de documents et de textes théoriques donnés en complément.

Les secteurs consacrés au Lettrisme nous offrent, en outre, un choix de tableaux, d’œuvres originales et d’objets, réalisés depuis 1944 par les artistes du groupe.

Tant sur le plan des formes plastiques que sur le plan des supports et des matériaux employés dans la fabrication des œuvres d’art, ces réalisations témoignent de l’originalité de ce mouvement et de son influence sur un grand nombre de courants contemporains surgis ultérieurement.

Parmi les œuvres présentées figurent, notamment, un dessin lettriste de 1944 de Isidore Isou, l’Oeuvre supertemporelle de 1960, intégralement ouverte à la participation active du public, une Oeuvre déambulatoire réalisée en 1966 par Roland Sabatier, sans oublier la peinture physiologique, le téléscripto-peinture, la peinture a-rhétorique, du début des années 60, et, également L’Oeuvre de prodigalité esthétique que le créateur du Lettrisme proposait en 1962, constituée de crêpes fabriquées sur place dans le but d’être offertes aux amateurs d’art.

Le thème général de cette œuvre collective est marqué, sur le plan sonore, par la diffusion sur un écran vidéo d’un texte intitulé « Les lettristes sont irrécupérables jusqu’à la société de l’éternité concrète, paradisiaque ».

Tout en permettant de découvrir ou de redécouvrir les œuvres de ce mouvement, la présentation proposée par le groupe lettriste à la Biennale constitue un ensemble esthétique détonnant, en même tant qu’une source de documentation importante et une leçon de pédagogie de l’Art.

L’exposition est co-produite par la D.A.I. du Ministère de la Culture avec le soutien de la Galerie de Paris, de l’AFAA et de l’Association Ecritures"


BIBLIOGRAPHIE:

La Peinture lettriste, éditions Jean-Paul Rocher, Paris, 2000 (p. 37)

La Méca-esthétique lettriste, éditions Art, vidéo cinéma et Ecritures, 1999 (p.62)

Lettrisme: vue d'ensemble sur quelques dépassements précis,  éditions Villa Tamaris/ Le Nerthe, 2010 (p. 231)

Les Echos du Durable, n° 19, décembre 1996, Le Lettrisme à la Biennale de Venise 1993.


LA BIENNALE DE VENISE 1993

Entretien de Roland Sabatier avec David Seaman

Réalisé à Paris le15 avril 2007


David Seaman : - Je suis en train d'écrire un chapitre pour mon livre sur le lettrisme où je voudrais parler en détail de ton schéma. Je sais qu'il y a eu plusieurs versions, celle que j'ai vue chez toi, celle des expositions en Géorgie, et celle de Venise. : à quel moment est-ce que tu l’as conçu ?

Roland Sabatier : - J’ai compris, assez récemment d’ailleurs, que, d’une certaine manière, j’ai toujours été intéressé par les schémas qui sont les supports concevables d’un rapport entre les différentes expressions de la réalité. Le schéma dit bêtement ce qui est, sans complication et sans interprétation. C’est grâce à ce procédé que, très jeune, à l’École des Beaux-Arts de Toulouse et ensuite en sana, j’ai pu matérialiser certains aspects du réel pour l’assimiler plus facilement.

Fin 1963, lorsque je me suis retrouvé brutalement devant la totalité du lettrisme, cela m’a beaucoup aidé. Face à la complexité des apports de ce mouvement qui complètent le passé tout en diversifiant le présent, dès le tout début, pour en démêler justement sa complexité, j’ai été conduit à dresser des lignes et des points qui me permettaient de saisir en un instant cet ensemble que les mots me semblaient ne pas pouvoir contenir. Le premier schéma que j’ai retrouvé il y a peu de temps et qui m’a conduit à cette réflexion figure dans une des lettres que j’adressais à mon frère, alors à Toulouse où il résidait, vers le printemps de l’année 1964, pour le tenir informé de mes avancées dans la découverte de ce mouvement. En complément d’explications que je lui communiquais j’avais dessiné l’ensemble de l’évolution chronologique des différents arts, depuis les origines jusqu’à la venue des structures du lettrisme, de l’hypergraphie, de l’infinitésimal, du discrépant, etc. Par la suite, je me souviens avoir reproduit ce même schéma de nombreuse fois, toujours à des fins d’explications et de pédagogie, devant de nombreuses personnes et à l’occasion de différentes conférences.

C’est plus tard, vers les années 1972-73 peut-être, que j’ai pensé les agrémenter de quelques signes pour leur donner le sens d’une œuvre hypergraphique. Plusieurs d’entre eux ont été adaptés pour figurer dans des publications, comme L’Œuvre plastique et romanesque, d’Isidore Isou, qui a été édité en Italie, dans Bérenice, ou, en 1988, dans Le lettrisme : les créations et les créateurs.

Le premier schéma, du moins de grandes dimensions (150 x 440 cm), développé et accompagné de reproductions, date de 1989 et a été exposé l’année suivante à Nice, à la Galerie Le Chanjour. Il s’intitulait Oeuvre de pédagogie esthétique : les positions du lettrisme. Entre temps, sous le titre de Le Musée lettriste, j’ai réalisé avec l’aide pratique de mon frère un tracé analogue sur une caravane dans laquelle les visiteurs pouvaient pénétrer pour prendre connaissance des œuvres présentées. C’est l’époque au cours de laquelle j’ai développé le système pédagogique du lettrisme à travers différentes œuvres et, plus particulièrement, dans celles de la série des Œuvres de pédagogie esthétique, qui incorporaient en elles-mêmes de nouveaux schémas.

En juin 1993, il y a eu celui, particulier en raison de sa taille, qui figurait à la Biennale de Venise.

Au cours de l’année 1997, sur des cartons assemblés (160 x 600), j’en ai réalisé un nouveau qui s’intitulait Tableaux d’une histoire (Schéma de l’évolution des éléments de la communication envisagés dans l’histoire utilitaire de l’écriture, pus dans les différents arts visuels, à travers leurs mécaniques respectives et la méca-esthétique), qui a été exposé, en 1998, dans L’Écriture et le temps : le lettrisme, à l’Atrium de Chaville.

En 1999, un autre schéma, plus complet, qui intégrait le passage dans les arts neufs dévoilés par le lettrisme de l’ensemble des arts visuels (l’architecture, le cinéma, les arts de la scène, la photographie, etc.) a été réalisé sur toile (210 x 500 cm) pour être exposé au début de 2000 dans From Letters to Lettrisme, à Statesboro.

Enfin, pour l’exposition Le lettrisme au-delà de la féminitude, organisée en juillet 2003, au Musée d’Art moderne d’Albisola, en Italie, j’ai proposé une variante, plus synthétique et moins esthétisée (100 x 325 cm) qui avait pour titre La Place du lettrisme dans l’histoire des arts visuels.


D.S. : - Pour la Biennale de Venise de 1993, comment est-ce que le groupe a décidé de le faire ensemble ?

R.S. : - Le groupe et aucun de ses membres n’a jamais pris part à la décision de faire de ce schéma la base de la représentation du lettrisme à cette Biennale. Isou, lui-même, s’est désintéressé de ce projet et m’a laissé faire, comme c’est la règle chez nous, totalement à ma convenance. J’ai donc conçu et organisé cette manifestation dans la plus grande solitude, ne demandant, qu’à la fin, à chacun des artistes du groupe, de me confier des œuvres précises que j’avais sélectionné en fonction de leurs rapports avec la manifestation. La liste de ces œuvres figure dans le catalogue.

À l’origine, c’est Achille Bonito Oliva, le commissaire de cette Biennale, qui, sur les conseils de Ben, souhaitait que John Cage, le groupe Gutaï et le groupe lettriste soient les invités officiels de cette manifestation.

À partir de là, en juillet 1992, Gino di Maggio, qui était partie prenante dans l’organisation de cette Biennale, a pris contact avec moi pour obtenir mon adhésion à ce projet. J’ai donné un accord de principe à partir duquel, c’est avec lui, mais principalement avec Eric Fabre, qui dirigeait la Galerie de Paris et qui exposait certains lettristes à l’époque, que nous avons commencé à discuter pour déterminer la nature de cette participation. Naturellement, nous n’étions pas d’accord, Fabre, voulant montrer dans la salle qui nous était réservée — et que nous ne connaissions pas encore — une rétrospective traditionnelle du lettrisme dans les arts plastiques ; Di Maggio, pour sa part, songeait à un accrochage très dense, très rempli et très envahissant dans le genre de ce que Fluxus avait proposé en certaines occasions ; moi, je souhaitais quelque chose de plus compact et de plus unitaire qui, en-soi, pouvait fonctionner comme une gigantesque œuvre unique, identifiable et reconnaissable comme étant emblématique du lettrisme et à l’intérieur de laquelle on aurait pu mettre en scène les tableaux de chacun.

Il fallait donc trouver une idée et le concept du schéma s’est immédiatement imposé à moi, au début du mois d’avril suivant, lorsqu’avec Eric Fabre nous sommes partis pour Venise où nous avons retrouvé Gino di Maggio pour découvrir ensemble le lieu qui nous était destiné. Il s’agissait du pavillon de la Yougoslavie dont la configuration, assez étroite et très allongée, en forme de couloir légèrement arrondi et au plafond très élevé, a dissuadé mes camarades de concevoir un accrochage traditionnel de pièces aussi variées et disparates, généralement de petits formats, que celles qui constituaient l’histoire du lettrisme. Tout de suite, j’ai pensé que seul un immense schéma occupant la totalité de la surface d’un des murs de ce couloir pouvait rendre compte à la fois des conceptions théoriques du lettrisme, de leur importance et de ses œuvres les plus caractéristiques.

J’ai donc réalisé plusieurs maquettes à l’échelle de ce mur, qui mesurait trente-cinq mètres de long sur une hauteur de 5 mètres, pour montrer la chronologie allant des origines de l’histoire des premières écritures jusqu’à l’excoordisme, en passant par les histoires respectives de la narration en prose et de l’art plastique, puis dans une référence à l’ensemble des arts visuels, du prolongement de ces expressions dans l’hypergraphie et l’art infinitésimal.

Cette fresque était complétée par la vision évolutive des moyens de réalisation qui aboutissait à la méca-esthétique et aux apports du lettrisme dans cette dimension. Les œuvres proprement dites venant s’inscrire à leur place sur ce schéma étaient représentées soit par des collages de reproductions pour les écritures et la peinture passée, soit par les livres des différents grands romanciers pour l’histoire de la prose. Les œuvres lettristes, hypergraphiques, infinitésimales, excoordistes et méca-esthétiques, émanant du choix que j’ai effectué parmi les réalisations des auteurs représentatifs du groupe, étaient représentées par des originaux (des dessins, des toiles et des objets) présentés dans des vitrines murales qui ont été fixées, également à leur place, dans la chronologie de cette évolution de trente-deux mille ans. En complément de tout cela, des mécaniques inédites, comme la plastique poudriste, l’anti et le super-emballage, l’œuvre super-temporelle, ou encore l’œuvre de prodigalité esthétique, constituée d’un fourneau sur lequel était fabriquées des crêpes, étaient disposés au sol, mis à la disposition du public qui pouvait à sa convenance les utiliser.

Pour le financement de cette réalisation qui représentait un travail et des moyens immenses, de transport notamment, d’hébergement des artistes pendant la réalisation, etc., aucune aide ne nous a été donnée, ni par la Biennale, ni par la France et c’est seul que j’ai du me débrouiller pour trouver une somme minuscule dans un département du ministère de la Culture. Éric Fabre a pris à sa charge quelques menus frais et la fabrication des vitrines, et la Biennale, la peinture noire qui, comme un fond, recouvrait l’immense mur sur lequel tout ce que j’avais imaginé devait être concrétisé.

Sur place, à Venise, où je suis parti durant dix jours avec mon frère et Broutin — les autres exposants nous ayant rejoint plus tard, pour le vernissage —, j’ai commencé par dessiner le schéma et tous les détails des textes et des mots qui étaient prévus et, au fur et à mesure de mon avancée, mes camarades présents collaient à leur place précise, située sur la maquette, les documents que j’avais sélectionnés et recopiés à Paris. Tout ce travail nous a pris dix jours.  À la fin, comme cela avait été prévu, dès l’entrée de notre salle et en face du schéma, j’ai ajouté un téléviseur qui diffusait en continu un film réalisé à Paris dans lequel une jeune fille lisait le texte d’Isou Les Lettristes sont irrécupérables jusqu’à la société paradisiaque.




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